« Car ce qui fait la singularité du bruit que produit Rice, rendue plus sensible du fait qu’il est construit essentiellement à partir de boucles superposées, c’est sa faculté quasi alchimique à suggérer la présence de structures et de sonorités qui n’y sont pas en réalité. Toute la noise music, du moins celle qui est faite intelligemment, repose sur cet état de fait que, passé un certain volume et un certain temps d’exposition (passé aussi le mouvement de rejet instinctif qui nous fait interpréter le bruit comme désagréable à l’oreille), le cerveau humain ne peut s’empêcher d’y repérer des cycles, des sons précis, parfois même de véritables mélodies, qui varient évidemment selon la sensibilité et la psychologie de chacun. À la manière des motifs subjectifs que l’on peut découvrir dans les taches d’encre des tests de Rorschach, le bruit peut parfois avoir ce pouvoir magique de parler au-delà/au-dedans de lui-même, de littéralement prendre corps pour se faire discours musical organisé à un niveau supérieur de la perception. Ce qui n’était que chaos indéterminé, désordre laid et dénué de sens, révèle alors une organisation plus profonde, comme moléculaire, chimique, régie par des lois qui tiennent autant de l’acoustique la plus élémentaire que de l’autosuggestion, de l’illusion, voire de l’hallucination auditive. Et tel est bien le propos musical, l’ambition de Rice, qui progressivement va devenir le maître incontesté de l’illusion sonore, développant un travail sur l’entrecroisement des boucles, jouant des variations rythmiques et des volumes pour créer une musique sans guère d’équivalent, faite de masses sonores qui en s’interpénétrant donneront naissance à des formes pour ainsi dire virtuelles, imaginaires, s’élaborant dans le cerveau même de l’auditeur, travail qui deviendra de plus en plus systématique et approfondi à partir de l’album Blood And Flame de 1986… »
Éric Duboys, « Industrial Musics volume 1 » (CAMION BLANC, 2009), pages 508-510, via Jean-François Magre, 2017