Pierre Escot – Sang Fluide


[Lecture par Pierre Escot de “Sang Fluide”, 2017, enregistrement par Wilfried Paris]

Je regarde mon bras, l’hématome s’étend, une tache d’huile sur une route mouillée, une poussée de l’air sur l’eau, une tache sombre à la lumière. Bras gourd, mon sang, une onde, lumière blanche avant la profondeur, avant le noir insondable. Un temps donné en zones de surpressions synchrones. Un carré de couleur, une ecchymose, une remontée veineuse. Epanchements rouge vert, bleu rouge, vert bleu, vert et bleu, gris, gris et bleu. Lumière blanche, longueurs d’onde reflète l’air. Zones violettes et jaunes, jaunes marron, violet marron. Un temps donné en zones de surpressions synchrones à celle de ta bouche et à celle de ta mort. Un blanc de lin, un blanc à disparaître. Les parois de tes veines supportent le flux de ton sang. Ton visage bleu comme tes cheveux noirs comme perturbation de l’air sur l’eau. Mes veines se dilatent, petits vaisseaux, veinules, ciel bleu gris pâle azur cobalt avec des yeux tantôt gris bleus, tantôt verts mais l’air et les longueurs, bleu sur les jambes, bleu sur les mains, bientôt marrons, bientôt noirs et boursouflés. Le bleu se transperce, s’accumule. Des frontières de bleu et l’air vient à manquer, le son dans l’air, l’air sur l’eau. Le visage de ton père, le visage de ta mère, celui de ton enfance, des traits perdus, revenus, l’air dans l’eau, l’humidité dans l’air, la fraicheur du soir avant la nuit. Je te vois tout bleu. Je te vois toute bleue. Je me vois tout bleu et dans l’air, des longueurs, des crépitements. Le bleu se transforme en vert, en marron, en jaune puis en noir boursouflé dans les odeurs. Le ciel à travers l’eau, la lumière dans l’eau, l’air sur l’eau, la chaleur dans l’atmosphère, la pression de l’air, la température, le départ des pourtours, le bleu puis le blanc nulle part, un point palpite et tape, sourd. L’air monte au cœur, dilate les artères, disperse le sang sous la peau, les tissus manquent d’air, l’oxygène. La peau se marbre de vaisseaux bleus, la peau pâlit, le sang afflue, la bouche s’entrouvre, se referme, la peau blanche puis bleu, l’air sur l’eau, le ciel à travers l’eau, la chaleur dans l’atmosphère, la fin des couleurs, le départ des pourtours. La peau redevient chair, chair rouge, veine bleu, artères gris bleu. Le souffle entre les dents, un miroitement arc en ciel d’huile et d’eau. La bouche, la langue. Les lèvres, la langue. Le bleu, le noir, le bleu, le marron jaune. Violet pâle, violet jaune pâle. L’eau remonte, les bras descendent, la tête se tend, zone de surpression des terminaisons nerveuses, signaux électrochimiques, sons assourdissants, stridents, courants d’air, eau et vent. Les hématomes s’étendent, une tache sombre s’élargit. L’air vibre d’humidité. Rémanence bleu électrique, bleu froid, bleu froid, bleu chaud, épais, intense jusqu’au noir. Je regarde ma peau, l’hématome se résorbe, le bleu remonte, les paupières s’agitent, l’air est doux, ma vue se brouille, les pourtours reviennent. L’air et l’eau, les veines se gonflent, l’air monte au cœur, la peau pâlit, la bouche s’entrouvre, se referme. La bouche s’entrouvre encore. Bleu d’eau, d’huile et d’eau, puis bleu au blanc jusqu’au noir. Carré de blanc, fuite de l’air. L’hématome se résorbe encore, un point palpite, la salive remonte, les battements ralentissent, des sons s’élèvent, sourds et stridents. Tombant, happé, la chute s’accélère puis remonte. La ligne d’horizon disparaît.

— Pierre Escot, texte inédit pour Extraits de bleu, le 8 septembre 2017, L’Espace d’en bas, Paris. Un programme de Collection Morel.