Collection Morel dans La critique

Art et recherche sont deux champs qui s’observent parfois en chiens de faïence. Leur rencontre pourtant peut s’avérer aussi fructueuse qu’intrigante. Ainsi de l’initiative de la Collection Morel, projet qui aborde par de multiples voies la question du lieu comme espace sensible. Amorcé par Marie-Pierre Bonniol, mais porté par un ensemble d’intervenants, la Collection Morel est d’abord un travail de recherche et d’interrogation : Qu’est-ce qu’un lieu qui ne serait pas seulement un lieu ? Comment celui-ci peut excéder ses simples dimensions physiques pour pouvoir être également habité par l’esprit ?

Répondre à cette question c’est d’abord, littéralement, lui donner lieu. En mai, l’espace PointCulture à Bruxelles a accueilli l’exposition, la publication et la discussion de ce projet. Plusieurs lieux en un, plusieurs manières d’être là. Dans cette exploration moderne du Genius Loci, l’auteur du projet s’inscrit dans une généalogie qui comprend Adolfo Bioy Casares, Virginia Woolf, Bachelard, mais aussi d’autres exégètes comme Michel Carrouges, Enrique Vila Matas ou son complice Jean-Yves Jouannais. Chez tous ces penseurs, il existe un lien fort entre le lieu et le texte, entre le livre et le bâti, qu’il soit un bâtiment, une simple pièce ou une machine. C’est donc naturellement que le lieu où s’installe le projet est double, une chambre et un livre. Dans l’espace de Point Culture, Marie-Pierre Bonniol a installé une chambre, un lieu dans le lieu, où l’on peut parcourir le résultat provisoire de ses recherches. On y trouve également des œuvres, des objets précis plutôt que précieux. La chambre ainsi se déchiffre ainsi comme un texte. A l’entrée se trouve d’ailleurs un livre, lequel fonctionne comme une anti-chambre. Si la pièce est aussi un texte, le livre est un espace. Ici, il est un arpentage de lieux particuliers, tel L’atelier d’Étude des Cycles ou Le Pavillon Dialectique.

Le dispositif, chambre et livre, n’est cependant pas un dispositif clos. Un colloque qui s’est tenu courant juin a permis de mettre en parole cette question du lieu. Le jardin comme un lieu particulier ou le Merz perdu de Kurt Schwitters ont été discuté. On a rappelé que l’objectivation n’était qu’une expérience du réel parmi d’autres. La question centrale a été celle d’une nouvelle sensibilisation du réel. Les réponses sont multiples en ce qu’elles impliquent à la fois les lieux et ceux qui les habitent. L’endroit doit contenir cette dimension sensible, ne pas être strictement utilitaire. Mais il doit aussi s’établir une relation entre le lieu et ses occupants. L’enjeu est à la fois architectural et philosophique, urbanistique et littéraire. De ces lieux plusieurs modèles émergent, la chambre de Virginia Woolf, la bibliothèque de Borges ou encore le jardin tel qu’il s’est élaboré et raffiné dans de nombreuses cultures.

Au-delà de ces formes habituelles du lieu sensible, il s’agira de savoir comment d’autres lieux, les lieux communs, pourraient être investis. Laboratoire d’étude, la collection Morel s’attache à cette recherche, recensent les lieux et leurs propriétés. En résonance avec son objet, l’ensemble ne s’aborde pas comme un laboratoire scientifique, il y règne un désordre léger qui laisse du jeu. La valeur du projet est dans son incertitude, dans le retard qu’il produit.

– Collection Morel sur La critique, texte de Nicolas Giraud, 19 juin 2014.

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